Rétrospective avec perspective – Le cardinal, la synodalité et la Suisse
La synodalité est exigeante. Il s’agit fondamentalement de se comprendre les uns les autres et de se mettre à l’écoute de Dieu. En Suisse, la diversité linguistique et culturelle est immense et les mentalités très différentes. Cheminer ensemble en tant qu’Église au plan national nécessite donc un grand effort de compréhension ; il y a encore beaucoup de pain sur la planche, comme l’a montré la visite en Suisse du cardinal Grech, secrétaire général du Synode.
Le 19 mars 2024, le cardinal Mario Grech, secrétaire général du Synode, était invité en Suisse. La Conférence des évêques suisses l’avait invité pour un après-midi d’échange sur la synodalité. Des membres de la CES, de la Conférence centrale, de la Commission pastorale et du Conseil des femmes de la CES, des responsables synodaux diocésains, des représentantes et représentants des facultés de théologie ainsi que les délégués suisses et les délégués en ligne aux assemblées synodales au niveau européen et de l’Église universelle y ont participé.
La rencontre et l’échange avec le cardinal Grech ont été impressionnants. L’intérêt du cardinal pour l’Église catholique en Suisse a été très apprécié.
Il n’était pas évident que le cardinal se rende en Suisse, il est en effet une personnalité très sollicitée dans le monde entier en lien avec le processus synodal en cours. Si le cardinal a pris le temps de venir en Suisse, c’est grâce à tous ceux qui, ces dernières années, ont contribué à lui expliquer la situation et la structure particulières de l’Église en Suisse, à la lui présenter et à éveiller sa curiosité.
La présentation du cardinal Grech, dans laquelle il a expliqué les principaux objectifs de la synodalité, a été très diversement appréciée. Les différences de perception des thèmes et des termes entre les régions linguistiques ont également été mises en évidence.
Le cardinal a placé la synodalité dans le contexte d’une Église qui doit réapprendre à évangéliser. Pour cela, la démarche doit être comprise comme un processus spirituel. Le terme d’évangélisation a été accueilli de manière plutôt négative par de nombreux participants de Suisse alémanique. Il a été associé à un concept de « nouvelle évangélisation » qui, sous le pontificat de Jean-Paul II, était souvent compris comme un programme de retour en arrière de l’Église. Les groupements ecclésiaux qui soutenaient la « nouvelle évangélisation » ont souvent été perçus comme conservateurs et marginalisant la société. Enfin, il existait à cette époque des tensions entre le niveau paroissial et celui « nouveaux mouvements spirituels » qui n’ont pu être surmontées que dans les premières années du XXe siècle ; un groupe de travail de la CES y avait d’ailleurs contribué de manière importante. Dans un tel contexte, l’accent mis sur l’évangélisation de l’Église comme toile de fond pour la synodalité a été perçu par certains comme plutôt rétrograde.
En revanche, les participants des autres régions linguistiques de Suisse ont interprété la notion d’évangélisation de manière beaucoup plus positive et l’ont donc accueillie avec plus de bienveillance. Ils ont interprété les paroles du cardinal ainsi : la synodalité doit aider l’Église à changer radicalement afin qu’elle soit vraiment en mesure de témoigner de la Bonne Nouvelle pour les gens de notre temps, en tenant compte de leurs espoirs et de leurs craintes.
L’Église doit donc, à la suite d’une réflexion synodale, effectuer une conversion intérieure vers les gens, afin de découvrir, encore et toujours, la Bonne Nouvelle et d’en vivre, tout en continuant à travailler ensemble de manière synodale. Dans ce sens, l’évangélisation n’est pas un retour à l’Église d’hier, mais la véritable raison de l’essor vers une Église pour aujourd’hui et pour demain, une Église qui parvienne à communiquer le message de Jésus de manière tangible pour les gens aujourd’hui, à agir en conséquence, à parler et à s’organiser de manière appropriée pour atteindre cet objectif. Dans ce contexte, la conférence du cardinal Grech a été entendue comme libératrice et encourageante.
Ces différentes « expériences d’écoute » ont suscité des questions différentes. Les questions en allemand témoignaient assez clairement d’une déception par rapport à ce que l’on avait entendu et mettaient l’accent sur les attentes locales en termes de réformes, notamment les possibilités de participation des femmes et le transfert de responsabilités de l’Église universelle vers les régions de l’Église universelle et les Églises locales.
Il est tout à fait compréhensible, par exemple, que la participation accrue des femmes ait été réclamée avec insistance par ceux qui, dans la bouche du cardinal, avaient interprété la démarche synodale comme la poursuite d’une image traditionnelle de l’Église (alors que l’on espérait et pensait y voir le contraire).
Cette discussion a conduit le cardinal à répondre de manière très étroite parce que, d’une part, il n’avait perçu que des demandes de réforme hors de leur contexte théologique, spirituel et d’évangélisation, et, d’autre part, parce qu’il voulait – et devait – faire preuve de loyauté envers les points de vue du Vatican où le processus synodal rencontre aussi des oppositions tenaces de la part de certaines instances vaticanes.
Un résumé de la presse catholique en Suisse alémanique résume bien la perception de la Suisse alémanique : “À Berne, l’Église universelle et l’Église locale se rencontrent – et ne se comprennent pas“, », titre kath.ch son compte-rendu en l’illustrant par l’image d’un cardinal au langage plutôt inamical.
En revanche, le résumé paru en Suisse romande est très différent : “Berne, le cardinal Mario Grech souligne l’élan missionnaire du Synode“, tel est l’intitulé de cath.ch qui donne l’image d’un cardinal à l’attitude amicale.
On pourrait tout à fait jeter aussi un coup d’œil sur le titre choisi par le centre de presse catholique italophone (catt.ch) – et constater là aussi un accent spécifique.
Si l’on interprète le déroulement de la discussion à la lumière de la méthodologie synodale, on peut dire que les différences culturelles d’écoute et de langage ont contribué au malentendu persistant – une expérience que toute la partie germanophone en particulier fait depuis longtemps avec « Rome ». L’issue synodale de cette situation confuse serait de s’interroger sur les différentes significations de ce que l’on entend et d’essayer de comprendre ce que l’on veut dire vraiment. En ce qui concerne le terme d’évangélisation, devenu toxique pour de nombreuses oreilles depuis des décennies, c’est un exercice qui demande beaucoup de temps – mais il est nécessaire.
En bref, la rencontre avec le cardinal Grech a été une expérience synodale d’apprentissage importante et nécessaire. Nous sommes au début du chemin, et il faudra encore apprendre à mieux se comprendre les uns les autres. Ce n’est qu’ainsi que l’on pourra développer l’« être Église ensemble », la force potentielle de la foi et la découverte de l’Évangile pour notre vie. En Suisse, avec ses différentes cultures ecclésiales, notamment en raison de la forte empreinte de la diversité post-migratoire, l’expérimentation de formes synodales et la pratique synodale à tous les niveaux de l’Église sont des tâches indispensables et riches en opportunités. La voie synodale est certes escarpée, mais elle vaut la peine d’être parcourue.
(Arnd Bünker)
Copyright des images : Stefan Maurer/ «pfarrblatt» Bern